Bateau Théâtre
L’histoire a déjà fait se rencontrer le bateau et le théâtre, lorsque les marins charpentiers lui donnaient le savoir dont sont issus la machinerie, leur vocabulaire et leurs superstitions… Quand l’un s’affronte au monde en sillonnant les mers, l’autre le représente lors d’un voyage immobile. De l’infini au monde clos, ce paradoxe suscite un aller-retour ou fil tendu liant la quête à l’imaginaire.
Ainsi, les univers maritimes et dramatiques sont indéniablement liés, mais pour que notre projet ne se résume pas à un « théâtre flottant » (comme sur les canaux de Venise pendant des siècles ou les péniches spectacle), il fallait que l’espace scénique proposé soit en corrélation avec les qualités propres d’un navire (le mouvement, le voyage, les rapports aux éléments…).
C’est en nous référant au théâtre grec, niché à flanc de colline face au paysage et au théâtre de Bussang dont le fond de scène révèle la forêt vosgienne, qu’il nous a semblé nécessaire d’ouvrir le navire au paysage. L’Ouragan, un bateau militaire, nous est apparu comme l’instrument idéal. Ce navire possède dans son fonctionnement la particularité de pouvoir couler d’environ quatre mètres, à l’aide de ballasts. Une porte s’ouvre à l’arrière sur la mer pour récupérer, dans l’espace du radier, de plus petits navires, puis remonte afin de les dépanner ou simplement de les transporter au sec.
« Le théâtre non comme lieu de représentation mais comme lieu de dialogues et de questionnements. Lieu de fabrication aussi car nous voulons mettre en avant la « machine » théâtre. Montrer des équipes au travail : comment elles fabriquent leur théâtre. ».
L’autonomie et l’isolement du travail en mer permettent de concentrer l’énergie et l’effervescence d’une troupe pour une durée préparatoire d’un spectacle qui, une fois arrivé à terme, se présente dans son lieu de création aux publics européens.
C’est pourquoi le projet de reconversion du navire comprend ainsi des ateliers s’ouvrant directement sur la scène, des cabines et lieux collectifs destinés à l’équipage, aux techniciens aux comédiens et à une quarantaine de stagiaires.
Si la machinerie des théâtres s’apparente à celle du bateau à voile, l’équipement scénique bu bateau théâtre détourne les technologies de l’Ouragan: les ponts roulants, éléments de structure ou de toiture, laissent désormais, place aux ponts mobiles pour l’éclairage et les décors, la toiture issue du même système se module sous forme de panneaux jusqu’à découvrir entièrement la salle. Le sol du radier, divisé en plates-formes montées sur vérins, s’articule pour former le ou les plateaux lorsque la mer pénètre le bateau, tandis que le gradin, berceau du public, avance et recule face à la porte pour délimiter l’espace de jeu.
Au ventre du navire fait écho le château abritant le café aux scènes multiples. Lieu de rencontre et d’évènements plus ponctuels (dans l’esprit du café Europa de Tadeus Kantor), il laisse deviner la trame de l’ancienne structure en transformant les espaces, comme un témoignage de la première vie du navire. On trouvera aux ponts inférieurs l’ensemble des cabines et la salle de répétition, pensés selon le même principe.
La scène parfois peut être à l’horizon, le regard peut encore plonger dans les ateliers ou sur l’arrière du bateau, ce sont autant de cheminements offerts dans un laboratoire englouti par l’univers marin, une dérive où les oscillations, les résonances métalliques seraient les spasmes d’un théâtre et d’un bateau destinés au même voyage.
Sa configuration lui permet également de procurer assistance à d’autres navires et de transporter du matériel lourd.
Caractéristiques :
L’Ouragan est un navire logistique de la Marine Nationale française conçu pour le « transport de chalands de débarquement » (TCD). De par sa mission, ce bâtiment présente une structure et des caractéristiques particulières.
Longueur : 149 m
Largeur : 21,50 m
Tirant d’eau : 5,80 m
Vitesse : 15 nœuds (650 km par jour)
Autonomie : 11 000 miles nautiques (soit trois traversées transatlantiques sans ravitailler)
Construction : Chantiers Navals de Brest
Mise en service : juin 1965
Sa particularité : un radier submersible de 120 m de long
L’Ouragan possède un radier (plage de stockage) de 120 m de long et de 13,50 m de large, pouvant contenir 1500 tonnes de matériel ou 250 véhicules, et qui dispose de plusieurs ponts roulants et plates-formes équipés de grues de chargement.
Pour le transport de bateaux, ce radier peut être immergé sous 3,50 m d’eau, à la manière d’un dock flottant, grâce à un système de ballasts (compartiments étanches permettant de contrôler le niveau de flottaison du navire).
Le navire dispose par ailleurs d’une plate-forme pouvant recevoir 18 hélicoptères, d’une capacité d’accueil de 300 hommes d’équipage et 500 hommes de troupe, et possède également un hôpital de 18 lits.
L’Ouragan sera désarmé en 2003-2004. Son sistership, l’Orage, achèvera sa carrière militaire en 2006-2007.
De par ses caractéristiques techniques hors du commun (volume offert par le radier, ouverture de la porte arrière et capacité d’immersion), l’Ouragan bouscule les frontières entre la terre, la mer et le ciel : créant ainsi un lieu à l’imaginaire très riche et déjà magique, il pourrait constituer un espace théâtral unique au monde